Lettre à mon fils

Mon Thibault,

Je t’imagine, grandissant, me demander pourquoi les lettres sont toutes destinées à ta sœur. Je t’imagine et je ne saurai pas te répondre. Il y en a quelques-unes pourtant, certaines cachées. Je te dirai qu’elles te sont destinées aussi, tu ne me croiras pas. Les regards posés sur soi et uniquement soi sont essentiels, je le sais. Alors, on en reviendra au début. A ta force dès tes premiers temps, à ta douceur, à ta tranquillité où elle hurlait aux loups, à tes deux pieds bien ancrés, là où elle fait des pointes. Je me tromperai. On a besoin d’autant d’amour et de réconfort quand on semble solide. Je devrais le savoir pourtant. Alors je m’excuserai et je passerai mes nuits à t’écrire. Pour que tu saches.

Il y aura cette lettre, déjà écrite. C’est à toi que je veux livrer mes peurs. Toi qui depuis quelques jours, ne demande plus ce que l’on fait aujourd’hui, tu as intégré que notre espace était réduit.  Tes nuits deviennent agitées cependant, il faut bien que cela sorte.

J’ai peur. Non pas de cette vacherie, de ce qu’elle va induire, de ce qu’elle dit de nous, des déceptions mordantes qui nous étreindront quand on aura cru le changement possible. Une peur sur laquelle on ne peut pas agir est une terreur.  Je les laisse aux heures sombres de la nuit et aux angoisses à faire souffler dans un sac.

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Crédit photo Sabine Faulmeyer

J’ai  peur de ne pas pouvoir sortir de ce doux enfermement. Le nôtre est doux, chanceuse que je suis.

J’ai peur de ne pas réussir à remplir le rôle que la société voulait me faire jouer et qui déjà pesait lourd. Elle a bon dos la société, me diras-tu !

J’ai peur de ne plus supporter ce rythme où les horloges sonnent trop, où les chiffres exigent, font courir et craindre le retard.

J’ai peur de retrouver ces journées qui me vident plus qu’elles ne me nourrissent. On peut s’éteindre de trop donner.

J’ai peur de l’intransigeance qui va poindre, de ne plus supporter la tiédeur et les petits compromis avec la vie.

J’ai peur de ne plus réussir à franchir le seuil de notre impasse. Ainsi, on peut se déshabituer de ce que l’on faisait sans y penser.

J’ai peur que ma quête d’utile soit encore plus grande. Je ne me transformerai pas en infirmière ou en médecin. J’en suis incapable. Mais ne peut-on pas être utile à faire naître un sourire ou une émotion, à mettre en œuvre des choses qui rassemblent ? Peut-on être utile à rendre la vie plus douce, et non seulement à tenter de la sauver ? Ce temps étrange l’est aussi par sa gravité et son urgence, survivre avant toute chose. Mais on ne peut passer une vie à survivre, sans quoi on ne vit qu’à moitié.

J’ai peur de vouloir vivre trop haut, au risque de claquer la porte à la gueule du confort et à faire s’écrouler ce qui semblait construit.

J’ai peur de reporter à demain tout ce qui m’habite, comme on se rassure en se disant que la génération suivante fera mieux que nous.

J’ai peur de la honte qui accompagne toutes ces pensées dérisoires. Tu me vois comme superwoman, je ne suis pas costaud tu sais.  Je regarde ceux qui n’ont pas la chance de passer leurs journées chez eux avec une admiration sans bornes. La honte de cette vie douce.

Mais ce dont j’ai le plus peur, c’est d’oublier tout cela et de reprendre comme si de rien. Et d’un jour, en relevant la tête, je tombe sur un regard éteint m’obligeant à baisser les yeux. Ou pire de trouver ton regard qui me dira : tu as dit Maman, mais as-tu fait ? Ou seulement essayé ?

Je dois filer mon Thibault, tu m’appelles pour faire le tour du monde. Notre nouveau jeu depuis quelques jours. Tu t’installes sur ta balançoire, ta sœur sur la sienne et on décolle. On invente mille destinations, des animaux à découvrir, des sauvetages à opérer. On atterrit quand le tour est fini et que l’heure du chocolat à croquer  a sonné.

Parce que la vie,

Ça creuse.

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Crédit photo Sabine Faulmeyer

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