La seule vraie richesse, ce sont les rencontres, celles qui vous touchent pour toujours, celles qui éclairent un moment, les éphémères ou les longues. Toutes façonnent votre vie et la conception de votre monde.
C’est donc de ces rencontres phares que j’avais envie de parler, il y a eu Erwan et Sandra qui sont venus vous livrer avec sincérité et douceur leurs visions du chemin ensemble. J’ai eu envie de prolonger l’aventure.
Aujourd’hui, c’est sous une autre forme qu’elle revient et c’est surtout un joli cadeau que m’a fait une personne précieuse, Gilles Paris. Il fait partie de mes rencontres, celles qui m’ont donné envie d’avancer sur ma voie, qui ont réussi en un regard ou quelques mots à me dire que tout n’était pas vain.
Gilles avait envie de vous raconter non pas une rencontre, il est généreux, mais plusieurs! Celles faites dans les salons, des rencontres d’un autre temps, comme suspendues avec ses lecteurs et les autres auteurs. Avec ces mots tendres et doux, il vient vous les conter à l’oreille.
Trop bavarde, je lui laisse la place. Un merci immense Gilles pour ce merveilleux présent!
La vie est une fiction par Gilles Paris
Ma nature étant plutôt sociable, je m’étonne parfois d’apprécier autant la solitude et mes arrivées matinales au bureau, le portable muet et ce couple d’heure où je travaille en silence. Je ne sors pas le soir, j’aime la quiétude de ces instants à lire, regarder la télévision et parcourir mon mur Facebook à la recherche de photos et commentaires qui me donnent envie d’ouvrir le dialogue. Un ours bien léché, voilà ce que je suis la plupart du temps.
Mais quand vient la parution d’un de mes romans, l’ours sort de sa tanière et parcours la France. Pour mieux me faire connaître, diront certains. Je confirme. Mais surtout pour rencontrer tous ces lecteurs anonymes qui m’ont lu, ne me connaissent pas, ou intrigués par mon sourire viennent à moi. Si je sourie, c’est parce que je suis timide, en fait. C’est toujours préférable à la lecture des textos ou du journal.
J’ai remarqué au fil des années que mes livres plaisent aux adolescentes et aux femmes. Peu d’hommes. Leurs épouses disent qu’ils préfèrent les polars ou les essais. Au salon de Nice, pourtant, un père et son fils sont restés près d’une heure à discuter, avant de repartir avec mes trois romans, écrits à dix ans d’intervalle. À Autun, en Bourgogne, un petit garçon de dix ans voulait savoir s’il pouvait lire Autobiographie d’une Courgette. J’ai répondu « oui et non ». Oui, parce que j’ai fait de nombreuses rencontres dans les écoles, et les enfants me lisent dès l’âge de 9/10 ans. Rien de cru, dans mes romans, et une approche du drame qui les intrigue du haut de leur petit âge. Non, parce que c’est finalement aux parents de décider si mes livres peuvent être lus ou non par leurs enfants. Ce petit bonhomme est revenu avec son père qui m’a demandé une dédicace. Peu de temps après, l’homme est de nouveau face à moi. Il n’est pas le père, mais le tuteur du garçon qui a passé sa petite enfance dans une maison d’accueil. Il voulait offrir un livre à ce gamin qui ne souhaitait que mon deuxième roman.
Les rencontres dans les salons ou les libraires sont émouvantes, drôles, tendres, parfois tragiques. Je me souviens encore en 2002 de cette femme qui m’avait jeté au visage Autobiographie d’une Courgette, après avoir lu la quatrième de couverture. « Comment pouvez-vous écrire des horreurs pareilles ! » m’avait-elle dit avant de s’enfuir et me laisser tremblant sur ma chaise. Parfois, on me demande où sont les toilettes et pourquoi Marc Lévy n’est pas resté plus longtemps, ou pourquoi Patrick Poivre d’Arvor n’est pas venu.
A Nice, après une conférence autour de la dépression à partir de mon troisième roman, Au pays des kangourous, une dame m’attend au bas de l’estrade et me dit « c’est un sujet qui m’intéresse. Mon fils s’est suicidé à cause de la dépression ». J’ai envie de retourner à mon stand, mais impossible de laisser cette inconnue dans une pareille détresse. Je choisis mes mots, je fais attention à ce que je dis. Je connais la fragilité de ces parents qui ont perdu un enfant. Le taux de suicide dans la dépression est un thème que je n’aborde pas dans les conférences. Trop dur. J’essaye de la déculpabiliser. Les dépressifs s’enferment dans un silence et ne se confient plus à leurs proches. Je ne suis rien pour cette belle femme élégante. Juste une branche à laquelle elle se tient un instant. Elle m’accompagne au stand et me demande une dédicace. Le prénom est masculin. « Votre fils ? », je demande alors que je connais la réponse. Je dis « je ne peux pas dédicacer le livre à un mort. J’ai besoin d’y accoler votre prénom. La vie doit continuer ». Elle me regarde. Sa tristesse et sa résignation s’imprègnent en moi comme une éponge.
A Colmar, trois adolescentes m’accueillent dès l’ouverture du salon. Chacune demande une dédicace sur mes trois romans. Elles ont lu un article, une publicité comme je l’entends souvent en province, mais elles ne savent plus où. D’autres m’ont entendu sur France Culture où je n’ai pas encore été invité. Plus surprenant, une dame m’affirme à Vannes qu’elle m’a vu le samedi soir sur « On n’est pas couché » l’émission de Laurent Ruquier. A Metz, je retrouve Vincent que j’ai connu virtuellement sur Facebook et qui, depuis, est devenu un véritable ami.
Au Mans, j’aperçois une certaine Charlotte, venue assister à la rencontre que je donne avec Marie-Adélaïde Dumont à la librairie Doucet. Elle ne sait pas que j’ai pour habitude, où que j’aille, de choisir un visage qui me rassure, vers lequel je me retourne souvent, où je puise l’énergie de poursuivre. C’est à cause d’elle, d’ailleurs que j’écris cette chronique. À Sète, c’est un couple, assis au deuxième rang, attentif, que je ne quitterai pratiquement pas du regard pendant le café littéraire auquel m’a convié Tino di Martino.
Bien sûr, brave pomme que je suis, je repars parfois avec des manuscrits que je n’aurais pas le temps de lire. Comment dire à ces jeunes et moins jeunes auteurs qui me regardent comme si j’étais une sorte de messie, que je compte les heures qui me séparent de mon métier de communicant et de cette irrésistible envie et besoin d’écrire ? Voilà bien longtemps que je n’ai pas eu le temps de m’acheter un pull ou un CD, de visiter une expo, d’aller au cinéma, ou de me promener au jardin du Luxembourg sans autre but.
J’aime ce regard doux et attentif des lectrices ou des lecteurs sur moi comme s’ils souhaitaient autant se faire aimer que moi d’eux. Parfois j’aimerai les inviter à dîner ou prendre un café, mais je n’ose pas. Christine a fait plus de deux cent kilomètres pour venir me voir à Colmar. Régine près de 75 pour me rencontrer à Merlieux. Depuis nous sommes devenus amis. Elle organise même une fête du livre « Fée Clochette », le samedi 18 mai au café Louise à Paris. Une mordue du livre, passionnée par les auteurs, qui ne vient pas du milieu de l’édition.
Et puis, toutes ces fêtes du livre n’existeraient pas sans les écrivains. Quelle joie de parcourir ces salons avec des auteurs que je retrouve toujours avec autant de plaisir. Harold Cobert, Emilie de Turckheim, Alma Brami, Corine Royer, Grégoire Delacourt, Janine Boissard, Adrien Goetz, Marie-Claude Gay, Brigitte Kernel, Thierry Vieille, Delphine Bertholon, Akli Tadjer, Eve de Castro, Valentin Musso, David Foenkinos, Marc Siger, Jacques Béal, pour ne citer qu’eux. J’ai partagé la complicité d’une cigarette sur le trottoir avec Corinne ou Harold, d’un fou rire avec Alma dont j’ai oublié l’origine, d’un repas à Nice au soleil avec Valentin, de photos avec Brigitte que nous avons aussitôt envoyé sur Facebook, d’apartés avec ma confidente Janine, de traversées de mer avec Marie-Claude ou Adrien, d’une fête à Villefranche avec Akli, d’un retour de Saint-Tropez en voiture avec Thierry, d’une conversation profonde avec Marc, comme on peut en avoir, parfois, avec des inconnus…
Et à Limoges, alors que je recevais le Prix Cœur de France pour Au pays des kangourous, j’ai fait signe à Grégoire de monter sur scène à mes côtés, l’ancien lauréat de ce Prix, avec lequel j’avais échangé quelques mots sur Facebook. Depuis, c’est un ami. Il prend soin de moi. Souvent un texto pour savoir comment je vais, ou si j’ai eu un retour d’Héloïse d’Ormesson pour mon prochain roman L’été des lucioles, qui sortira en janvier 2014.
Et malgré ce tourbillon d’émotions et de belles rencontres, je suis heureux de rentrer chez moi. Je me rends compte à quel point ces week-ends de salon, où ces journées en librairie m’apportent tout l’amour dont j’ai besoin pour me tenir debout. Ou assis, derrière mon ordinateur. La mère de mon prochain narrateur, n’est-elle pas libraire ? Dans L’été des lucioles, j’évoque ces rencontres que je transforme en fiction. À Fuveau, une lectrice s’approche de moi. Elle choisit Au pays des kangourous. Je lui demande son prénom. Elle dit « celui que vous voulez ». Le stylo suspendu, je la regarde intriguée. Elle se penche vers moi et ajoute « j’adore que les écrivains m’inventent un prénom ». Je dédicace au nom de Claire. Le prénom que je vais choisir ensuite, pour la mère de Victor dans L’été des lucioles.
La vie est une fiction.
Dernier livre paru : Autobiographie d’une Courgette (Etonnantissimes ! – Flammarion avril 2013). Une version augmentée et illustrée par Charles Berbérian.