Il n’y a que par ce roman que je pouvais revenir. Revenir à quoi? Un peu au présent, aux frôlements des autres. Aux livres aussi et surtout à l’envie de partager.
Parce que c’est Gaëlle Josse me direz vous. Vous aurez raison. Elle est une des plus grandes auteures françaises, grande par l’humanité de ses romans, par leur justesse et leur délicatesse. Si la vie se tenait à hauteur des mots de Gaëlle Josse, alors elle serait douce, profonde, cruelle comme elle sait l’être, mais sans jamais perdre de vue ce qui doit constituer l’humain.
L’évidence de revenir avec ce roman, mais avec la difficulté de trouver les mots justes. Parce que ceux de Gaëlle Josse jamais ne faiblissent, parce que face à cette question de l’épuisement, l’approximation n’est pas permise.
Il y a longtemps qu’elle porte ce sujet, Gaëlle Josse, qu’elle voit celles qui s’écroulent autour, ceux dont les journaux parlent sans vraiment les nommer, presque comme un phénomène de mode. C’est dans l’air du temps, ça en deviendrait presque tendance. Ils ne savent pas ceux qui disent sans nommer, les mêmes qui assènent un: quinze jours de vacances et tout ira mieux, ils ne savent pas ce que devient un corps qui ne sait plus. Ne sait plus se tenir debout, ne sait plus se remplir, s’habiller, encore moins se confronter à un autre corps. La tête voudrait elle, a tenu d’ailleurs, n’a pas voulu entendre les alertes, a pris sur elle, a glissé sous le tapis ce qui encombre. La tête veut, le corps non. Si les alertes ne suffisent pas alors il s’écroulera, et ce sera irréversible. Il faudra réapprendre la vie, comme on le ferait d’une jambe que l’on pose par terre après un mois de plâtre. Revenir. Se promener une heure, pouvoir rester dans un magasin sans vouloir fuir. Ce sont ces impossibilités de l’ordinaire, ces montagnes à gravir chaque jour que dépeint avec précision, humilité et précision ce si profond roman.
Gaëlle Josse se pose à côté de ceux qui tombent, juste à côté de Clara. Sans regard qui juge, sans hauteur ni détachement. Elle se pose juste à côté du nous. Sans grandiloquence, sans asséner les remèdes prônés jusqu’à la nausée par les nouveaux gourous. Comme on devrait s’agenouiller pour parler à un enfant, elle raconte Clara à la bonne place, revient à la chute, l’incompréhension du monde autour, la dérive, et les petits riens-qui les qualifient de petits d’ailleurs, les habitudes que l’on retrouve, les repères qu’on retrouvent, les cailloux que l’on ramasse une fois le chemin retrouvé.
Plus qu’un roman sur ce fameux burn-out, sur cet épuisement de vie, Ce matin-là est un roman sur le sens d’une vie. Ce sens que l’on oublie, qui s’éloigne, le sens de la marche et du monde qui fuit, sur ce qu’on remplit pour combler un manque, pour répondre à l’urgence, oubliant ce qui aurait pu être, ce qui aurait dû être. On chemine avec Clara, on pose un genou, on voudrait la tenir par le bras, mais ce serait encore la contraindre. Alors, on la regarde, on se tient pas loin, au cas où. Et Ce matin là a cette force là, il se tient juste à côté, il ne brusque rien, il dit: un jour tu sauras te réjouir du jour qui commence, et tu pourras saisir la main qui se tient sur ton épaule. Mais avant il te faudra réapprendre, seule à te tenir au monde.
Et une fois debout, ne pas perdre du bout des yeux cette question « Mais qu’est ce que la vie a fait de nous? » pour ne plus retomber. Ou moins fort, moins bas. Pour ne pas oublier ce qu’un jour peut contenir de vie.
Votre commentaire