« On s’essouffle à disperser la poussière, on gratte et griffe l’habitude pour retrouver l’avant et l’éclat. En vain, forcément. A vouloir tout sauver, à ne jamais écouter les signes et ceux qui savent les lire, on finit comme Œdipe, les deux yeux crevé. Responsable, et victime. »
Je n’avais pas su écrire sur Sauf que c’étaient des enfants à sa lecture. Il faut parfois, comme un thé trop chaud, poser un livre sur la table, attendre que l’eau retrouve une température que la gorge pourra boire sans en garder les séquelles d’une brûlure trop vive. Il faut attendre que la première gorgée ait terminé d’anesthésier la langue, pour retrouver l’usage des bons mots, des mots justes.
Ce roman est resté longtemps sur mon bureau, j’en ai relu des parties. J’ai à peine murmuré à Gabrielle Tuloup l’importance de son roman. Et puis au creux d’un après midi d’été, j’ai entendu les mots de l’autrice sur son roman, sur sa construction, sur le pourquoi et le comment. A ce moment là, le livre avait rejoint son grand frère, cette sublime Nuit introuvable sur mon étagère des essentiels, vous savez celle qui touche le plafond.
J’étais dans l’appartement de Lauren Malka, nous avions déjà enregistré quelques heures d’émission pour cette série de podcasts que nous voulions créer. J’étais assise sur une chaise, sans la tourner, c’est mon corps que j’avais bougé, un micro dans la main : pour le cas où tu voudrais réagir pendant qu’elle parle, m’avait-elle dit. J’avais prévenu que je me tairai, mon corps parlerait pour moi, mais ma voix non.
Je n’ai pas repris mon souffle après avoir entendu Gabrielle parler de son roman, Lauren a saisi la voix cassée d’émotion, la colère qui monte aussi. Il n’y a eu qu’une prise, de tout il n’y a eu qu’une prise, je ne crois qu’à l’instinct et aux tripes qui parlent, quand il s’agit de littérature et de vie, en général.
On peut dire de beaucoup de livres qu’ils sont importants dans un parcours, un instant, un matin.
Il faut reconnaître ceux qui sauvent. Oh pas une vie, on laisse cela aux médecins. Mais ceux qui sauvent un bout de soi ou une image écornée. En levant un silence pesant, en prenant la main du lecteur pour lui dire : tu vois l’extrême solitude n’existe pas. Ce n’est que cela la littérature, un refuge à solitudes inconsolables, à la quête de sens. Le seul endroit où aller quand on ne sait plus mettre un pied devant l’autre. Ce roman met des mots sans détourner le regard, pousse loin la question de la légitimité, cette question qui parfois colle à la peau comme un chewing-gum sous une chaussure, on a beau essayé toutes les astuces de grand-mère, il reste une trace, toujours .
Sauf que c’étaient des enfants est sorti quelques semaines avant le confinement, il y a eu cela. Et il y a cet aléa du monde littéraire que je comprends de moins en moins, ce manque de curiosité qui fait tourner tous les regards sur quelques titres. Pourtant, ce livre, il faudrait le porter haut, entendre les mots de Gabrielle Tuloup car ils sont touchés par la grâce même dans la violence et le sombre, il n’y a jamais d’impudeur. Tu en connais beaucoup des auteurs capables de cela ? Tu en connais beaucoup des êtres capables de se tenir à la hauteur de leurs mots, ils sont rares, si rares.
Il faudrait que toujours le beau et la poésie comptent davantage que le sensationnel gorgé de bruit et d’odeur insoutenables, ce n’est pas niais ou absurde, c’est une question de vie, de survie même.
« J’ai toujours eu soif, de beau, de pas fini, de pas brisé. Jusqu’à l’aveuglement. C’est dans tous les romans : la vie, ça laisse le regard brouillé. Je me convainquais que ce n’était pas triste. On peut pleurer parce qu’on connaît les ombres, mais que la lumière les écrase. Il arrive qu’on pleure parce qu’au plus sombre des nuits brille une étoile qu’on a choisie, ou parce qu’il existe un puits quelque part dans un désert. »
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