Lola Nicolle publie en cette rentrée son premier roman, et quelle première fois! J’ai voulu embarquer avec elle dans les coulisses de son écriture fiévreuse et poétique.
Écrire, à quoi ça sert ?
Pour moi, écrire sert à retenir le temps. À le comprendre, le décrypter. À justifier la vie, aussi. Organiser ce grand désordre dans lequel nous évoluons, lui trouver une forme, un sens. Bien que j’admire l’imagination foisonnante de certains auteurs – qui se servent, eux, de l’écriture pour dépasser le réel – elle me permet, à titre personnel, de mettre les mains dans cette matière qu’est la réalité et de la sculpter pour rendre tout cela soit plus tolérable.
Le meilleur compagnon de l’auteur ?
L’obsession. Cela lui permet de ne pas trop penser à ce qu’il fait, mais d’y aller, parce qu’il n’a tout simplement pas le choix. Sans cette forme d’urgence ou de nécessité, il me semble que rien de vraiment bon n’advient. L’obsession, donc, serait le premier compagnon. Et le second, ce serait l’éditeur, qui soutient, aide, fait accoucher, donne confiance. Mais peut-être dis-je cela par déformation professionnelle ?
Son pire ennemi ?
L’attente. Je crois que l’auteur ne doit rien attendre de son livre. Bien sûr, on espère qu’il touchera des lecteurs, que le texte deviendra un bon compagnon de vie pour celui qui le choisi, qu’il saura toucher au bon endroit. Mais il ne doit rien attendre en retour. Ça ne veut pas dire que l’auteur ne doit pas penser à son lecteur lorsqu’il écrit, au contraire. Il faut être généreux. Publier signifie partager ; mais la réception doit rester une bonne surprise et non un moteur.
Une manie d’écriture ?
J’écris très souvent sur l’iPhone. Mon écriture se base beaucoup sur des observations, alors il n’est pas rare que j’écrive sur les notes du téléphone dans un métro, dans la rue, lorsque je surprends une scène ou qu’il me vient une idée. Je marche énormément dans Paris. Cette activité me permet de pré-écrire dans ma tête. Travaillant beaucoup autour de la poésie, je trouve souvent des images lors de ces trajets à pieds.
De quoi l’écriture doit-elle sauver ? (Référence à un extrait d’Écrire de Marguerite Duras « Se trouver dans un trou, au fond d’un trou, dans une solitude quasi totale et découvrir que seule l’écriture vous sauvera. »)
L’écriture permet de sauver des moments de l’oubli. Mais également de les prolonger. Quel plus grand pouvoir que celui de redonner vie à des scènes, des personnages. De pouvoir parler aux absents. Elle sauve également de l’ignorance. Si j’écris, c’est également pour comprendre le monde, les rapports entre les individus et la société. Ce qui régit tout cela ; le social et le politique. Pour tisser des liens entre des situations concrètes et une tentative de compréhension.
Quelle sensation éprouve-t-on lorsqu’on a son roman, publié entre les mains ? Quel rapport aux regards des autres sur ses écrits ?
C’est une sensation incomparable. Dans le sens, où, avant qu’il ait une dimension matérielle, le livre qu’on écrit est, pour les autres, parfaitement abstrait. Tout cela pourrait n’avoir jamais existé, alors que cela fait souvent plusieurs années qu’on y travaille. À partir du moment où on le tient entre les mains, on a la preuve irréfutable ; tout cela est réel. Mon premier livre était un recueil de poésie (Nous oiseaux de passage, Blancs Volants, 2017), et je garde vraiment un souvenir incroyable de cette première fois. Mais c’est également le commencement d’autre chose ; le texte désormais nous échappe, il va se confronter aux regards des autres. Le texte fait soudain sa vie sans vous et c’est vertigineux ! Il serait faux de dire que l’avis des autres ne compte pas – c’est un grand bonheur que de recevoir des retours de lecteur. Mais il faut également savoir s’en préserver.

« Architecture of Density #43 », de Michael Wolf
Si vous étiez :
– Une œuvre d’art: « Architecture of Density #43 », de Michael Wolf
J’ai découvert ce photographe aux rencontres d’Arles, il y a quelques années. J’ai été bouleversée par ces photographies qui reflètent parfaitement l’ultra-moderne solitude des grands ensembles urbains. Ce sujet m’intéresse tout particulièrement.
– Un mot : La gaieté (car il est poli d’être gai).
– Une chanson : « Béton armé », de Bagarre
Bagarre est pour moi le groupe le plus avant-gardiste du moment. Il y a une grande souplesse dans les genres explorés – rap, éléctro, métal, chanson. Une absence de hiérarchie entre ses membres. Une écriture incroyablement puissante. Une urgence certaine. Bagarre est le contemporain.
– Une première fois : La première fois que, dans mon métier d’éditrice, j’ai eu la sensation de réellement découvrir un auteur. Une vraie voix. C’était Jean-Baptiste Andrea avec Ma reine.
Citez trois ouvrages fondateurs
Lettre à D., de André Gorz
L’Art de la joie, de Goliarda Sapienza
La Mise en scène de la vie quotidienne, de Erving Goffman
Le dernier roman qui vous a étonné
Ida, de Hélène Bessette
Merci pour cet entretien !