« Reste la nuit. Epaisse. Lourde. Vide à tous ceux qui ont peur, à ceux qui désespèrent, se trompent. Cette nuit est aussi pleine que les autres. Féconde. Mystérieuse. Imprévisible. Elle s’est insinuée de l’autre côté des murs. L’heure des souffles de vie. L’heure des silences. »
Je persistais à dire que tout avait été écrit sur cette période (la seconde guerre mondiale), m’interrogeant depuis trois ans et la lecture de plus de 400 premiers romans sur ce qui pousse un primo romancier à écrire sur cette période. Et dans le même temps, je suis infiniment touchée par les romans de Séverine Werba, Marie Barraud ou Anne Sophie Moszkowicz sans parvenir à saisir ce qu’ils disent de moi, sans doute quelque chose sur le poids que l’on porte et que l’on ignore, sur ce que l’on transmet avec un nom de famille ou une histoire. J’ai longtemps cru ne venir de nulle part et donc de partout, me vantant de ne pas être attachée à une terre, mais sans en comprendre l’étendue ; sans doute parce que jamais, ou sans que je le sache, quelqu’un n’a essayé de me les arracher, ces racines et de me les faire taire.
Je pensais que tout était écrit, ignorant que si tout est dit, une nouvelle langue peut advenir qui fait qu’alors on oublie ce qui a été raconté.
C’est cela le roman de Sébastien Spitzer, un nouveau ton, et une rythmique, entêtante, qui vous serre à la gorge parfois mais qui par sa densité, raconte et montre. Raconte, montre et surtout fais vivre. Vous plongez et vous êtes bluffée par la forme, par l’écriture saccadée et percutante, par cette marche lente dès les premières pages.
Inévitablement, vous savez que vous tenez un roman qui fera partie des 68 ; parce qu’il pourrait être le dixième roman d’un auteur talentueux, tant rien n’est de trop, comme ça peut être le cas des premiers romans, documenté, extrêmement intelligent sans rien occulter des émotions. Parce que pour moi, une magnifique écriture, des choses apprises, ça ne suffit pas à un grand roman, il faut que l’on vienne chercher l’intime et les tripes, qu’on fasse vivre les mots. C’est exactement ce qu’il se passe ici. Au moment de l’envoi, la (fabuleuse) éditrice de ce roman, Lisa Liautaud, me disait ne pas savoir quel adjectif y apposer. Après sa lecture et des dizaines d’articles de presse, personne n’a encore trouvé l’adjectif à la hauteur.
Magistral est sans doute proche de la vérité.
Une première lecture au cœur de l’été, une relecture après la rencontre avec Sébastien Spitzer qui vit littéralement son roman, en parle avec des yeux brillants et une émotion contagieuse (rencontre magnifiquement relatée par Heliena sur son blog, mes écrits d’un jour). Dans le grand auteur, réside un grand homme. Apporter ce roman en détention tant cette rencontre entre eux et lui semble inévitable.
A la hauteur de Nuit et brouillard de Jean Ferrat (un monument selon moi ), Ces rêves qu’on piétine donne à voir l’horreur mais plus encore donne aux lecteurs le miroir du : et si ? Par ces lettres bouleversantes d’un père à sa fille. Par l’Histoire à hauteur d’hommes. Pas de distance historique, de leçon trop didactique, ce roman fait oublier l’époque et les pages déjà lues, il convoque une actualité troublante, qui fait dire : et si c’étaient nos pas sur ce chemin ? Ce qui nous rappelle violemment que le passé n’est jamais une porte close, qu’un courant d’air peut si facilement ouvrir, emportant tout sur son passage. Mais que l’espoir et l’humanité qui réside en chacun peuvent nous sauver, du sombre et du vide.
«Mais tes fondations sont les heures que nous avons passées ensemble à interroger la vie, à balayer la mystique, à gratter les mots, les idées, les grands auteurs. A marcher sans rien dire pour écouter le silence. Je mérite bien d’être ton père, même à échelle réduite. »
Une fois le livre fermé, on regarde son père, on regarde ses enfants et un peu soi. On regarde ses rêves, et sans oublier ce qui a été, sans nier mais en expliquant le laid, on se dit que transmettre le beau et le doux est sans conteste la plus belle chose à faire, sinon la seule chose à faire.
« Si seulement je pouvais prendre les broderies du ciel,
Ciselé de lumière d’or et d’argent,
Les voiles bleus et pâles et sombres
De la nuit et de la lumière et de la pénombre,
Je les étendrais sous tes pas ;
Mais moi, qui suis si pauvre, je ne possède que mes rêves
Je les ai répandus à tes pieds ;
Marche doucement, car tu marches sur mes rêves ».
W.B.Yeats
Les lecteurs des 68 premières fois ne s’y trompent pas, si je n’ai pas réussi à vous convaincre, allez les lire !
Oh ce billet ❤
Des bisous Charlotte ❤
(pas encore découvert cette merveille mais ça ne saurait tarder !)
Il manquait tes mots sur ce sublime roman, bravo ! ❤
Quel billet inspiré et inspirant ! Merci ! Je suis au passage impressionné par le nombre de romans récemment publiés qui ont pour cadre la 2nde guerre mondiale.