Il y a dans les romans bâtis autour des figures artistiques une intensité singulière, comme une urgence à vivre et à créer, une insoumission, une impossible compromission et une vision des autres et du monde sans filtre ni masque. (Si vous n’avez pas encore posé vos yeux sur le merveilleux roman Eroica de Pierre Ducrozet, il est toujours et encore temps de rencontrer un roman inoubliable).
Les parapluies d’Erik Satie ne déroge pas à la règle, et la confirme même avec brio et ferveur.
Stéphanie Kalfon parvient à nous faire entrer dans la tête et dans le costume jaune moutarde d’Erik Satie, par touches, par fulgurances. Il est enlevé et puissant ce roman, avec des phrases que l’on relit encore et encore, tant elles disent le monde et les émotions dans leur profondeur. On est loin de la biographie riche mais linéaire d’un musicien et compositeur, incompris et errant dans une misère cachée toute sa vie. Le personnage est en soi passionnant, excentrique et hypersensible, ultra attentif et tellement seul.
Prenant ses bases sur le destin d’Erik Satie, Stéphanie Kalfon questionne l’hypersensibilité, l’exigence d’une vie vouée à l’art et cet éternel et universel besoin de reconnaissance et de regard posé sur soi
Les parapluies d’Erik Satie est un cri, en provenance de la Belle époque, mais qui résonne tant aujourd’hui ; un appel à ne pas se contenter de survivre, mais coûte que coûte à ne pas lâcher les ambitions créatives. C’est un cri lumineux, jamais sombre là où pourtant le destin n’était pas tendre ; il est fiévreux et passionné ce roman ; servi par une plume affutée et ambitieuse.
A l’heure où l’on voudrait des histoires policées, n’offrant que du tiède ou de l’infiniment romanesque, des histoires stéréotypées où tous les éléments obligatoires doivent être mélangés au point de rendre le recette insipide, il est tellement rassurant de constater que des éditeurs reconnaissent les textes qui font la littérature, qui n’entrent pas dans des cases préétablies mais au contraire créent leurs propres codes. Défendre une ambition littéraire aussi classe et noble est un tel privilège. Ce premier roman est évidemment dans la sélection des 68 premières fois 2017 et il est mon plus grand coup de cœur, un roman qui fera date, qui provoquera sourires et frissons au moment où je passerai à côté, où je le croiserai en librairie, avec ces phrases qui accompagneront ma route.
Choisir un extrait est immensément difficile, tant chaque page contient la phrase qu’on ne veut oublier, je me contente de vous livrer la première page. Sa lecture suffit, oubliez tous les mots que je viens de poser, piètrement sur ce roman, imprégnez-vous de ce passage et vous n’aurez envie que d’une chose, que Les parapluies d’Erik Satie rejoigne votre sac, vos mains et enfin votre bibliothèque pour y trôner en roi.
« On n’envie jamais les gens tristes. On les remarque. On s’assied loin, ravis de mesurer les kilomètres d’immunité qui nous tiennent à l’abri les uns des autres. Les gens tristes sourient souvent, possible oui, possible. Ils portent en eux une musique inutile ? Et leur silence vous frôle comme un rire qui s’éloigne. Les gens tristes passent. Pudiques. S’en vont, reviennent. Ils se forcent à sortir, discrets faiseurs d’été…. Partout c’est l’hiver. Ils ne s’apitoient pas : ils s’absentent. Ils disparaissent poliment de la vue. Ils vont discrètement se refaire un monde, leur monde, sans infliger à personnes les désagréments de leur laideur inside. Ils savent quoi dire sans déranger. C’est tout un art de marquer les mémoires d’une encre effaçable… »
Celui là, il me le faut !