L’été se veut être la saison des livres légers, de ceux qui vont avec le soleil et le rosé. Certes, et cela peut faire du bien (si votre conception est telle, rendez vous autour des trois premiers romans de l’été), mais l’été peut être aussi le moment où l’on a du temps pour s’attarder sur les romans qui portent haut la littérature, pour tenter des expériences singulières.
Quatre titres pour savourer des romans à la langue soignée, aux contenus riches et aux projets ambitieux.
Icare au labyrinthe, Lionel-Edouard Martin
Ce roman, c’est comme un verre que l’on dégusterait doucement, qui provoquerait milles effets tantôt la gorgée réveille par son amertume, tantôt elle nous berce par sa douceur et dont on se resservirait pour prolonger l’effet.
L’écriture de Lionel Edouard Martin ne se laisse pas apprivoiser facilement, mais une fois que l’auteur accepte de nous ouvrir la porte, on sourit, parfois jaune, et on ressent comme une béatitude à le retrouver, à prendre délice à retrouver la langue, les idéaux portés haut, la poésie jamais loin.
Il y a quelque chose de presque suranné dans Icare, comme un monde que l’on ne prend plus le temps de regarder (l’éloge de la lentille !), quelque chose de plus lent que le monde justement, ce décalage sans doute nécessaire à l’écriture. Elles sont belles d’ailleurs les pensées sur l’écriture et la littérature, sur ce qu’elle doit être ou veut être, et sur son importance.
Un roman étonnant et dont on garde la douce mélodie et le pincement un peu grinçant, jamais cynique de son héros.
« J’ai toujours dans mon baise-en-ville un livre ou deux. Le monde, chaises à touche-touche, peut bien me ratatiner, j’y survis tant que me parle une petite voix d’écriture. »
« De cette heure, je n’ai plus jamais été le même : je m’étais détaché du spectacle et du monde. Une paix, une nouvelle façon d’être. C’est comme ça qu’on écrivaille : dans cette vague certitude qu’on doit mettre entre le monde et soi le recul d’une apathie, au sens premier du terme. Refuser de participer, se tenir à l’écart. »
« – Je me serais blottie contre toi. Nous aurions dormi tous deux. Je n’aurais plus eu peur. Il faut bien que tu serves à quelque chose. Les livres, c’est toi qui le rabâches, sont là pour nous désangoisser, parce qu’ils améliorent le monde en y mettant de l’ordre.
– L’anti chaos…. »
L’année dernière, deux premiers romans avaient l’audace de tenter quelque chose de nouveau, de s’ouvrir à autre chose que le roman à proprement parlé
Charognards, Stéphane Vanderhaeghe
Charognards ou la réécriture des oiseaux d’Hitchcock, la mise en page aussi importante que le contenu, l’objet livre dans son aboutissement, et ce basculement vers la folie, ce monde écrasé, pris d’assaut par ces animaux sombres et troublants, la folie dans laquelle plonge le héros, au gré de son journal et dans lequel le lecteur est entraîné, sans facilité, avec une maitrise de la langue. Plus qu’une histoire que l’on nous conterait, il s’agit ici de faire l’éloge de la langue par la langue elle-même, la réflexion poussée à l’extrême de la disparation de l’humain, et de sa langue. Un projet ambitieux, un premier roman déroutant, haletant comme un thriller, dont on conserve longtemps la sensation d’enfermement qu’il suscite.
111, Olivier Demangel
Sur le modèle d’une étude sociologique, Olivier Demangel invente (ou est ce nous pousser à notre paroxysme, pousser au grand exil ? ) la vie d’une troupe d’individus en migration et sa lente ascension, vers où, vers quoi ? Avec en guise de narrateur des observateurs détachés et comme une vigie, voir mais ne pas être vu. L’études des rites et des habitudes, des attitudes face à la mort à l’obligation de se reproduire pour perdurer; à la manière d’un sociologue ou ethnologue, Olivier Demangel livre un roman étrange, que l’on lit sans savoir, comme ses personnages, vers où l’on va, avant la seconde partie et la rencontre d’une autre bande, et inéluctablement l’affrontement.
Un pari audacieux
Tombeau de Pamela Sauvage, Fanny Chiarello
Le dernier roman de cette série est pétillant et dingue, ludique et éblouissant, tellement intelligent et même si le lecteur se délecte de ce roman avec fluidité, on ne peut qu’imaginer la difficulté d’écriture de cet ovni, pour que les notes de bas de page deviennent des tranches de vie dans lesquelles se donnent à lire les petites choses perdues, les détails qui font la singularité. Vingt trois destins tous liés, comme ces degrés qui nous séparent les uns des autres (6 au plus paraît il), et là où l’humour saisit le lecteur à la première lecture, on sent affleuré la colère toujours vive de Fanny Chiarello dans ses romans (Fanny Chiarello dont je vous parlerai à la rentrée avec un superbe roman, soi -disant pour ados), cette volonté de se battre toujours, de ne pas accepter la déchéance des choses de notre quotidien. Un délice tant sur la forme que sur le fond, où l’on laisse au lecteur le choix de sa lecture ! Attention, ça surprend ! Et c’est délicieux!
« Ne sommes- nous pas une note de bas de page pour la plupart de ceux qui nous entourent? » Pamela Sauvage
Ce ne sont pas mes univers, mais tu donnes envie de les lire. Merci
Jolie sélection!