L’épuisement professionnel commence à investir la littérature, en ce qu’elle joue son rôle d’observateur de la société; Jennifer Murzeau et son si juste Il bouge encore ou Stéphanie Dupays dans le très réussi Brillante ont offert des romans marquants. Julie Moulin s’attaque à ce sujet avec un angle détonnant et une originalité folle, pour finalement mettre au jour l’évidence, celui de l’effondrement du corps, en dépit de la volonté de l’esprit de tenir.
Marguerite et Mirabelle, les jambes. Boris et Brice, les bras. Babette les fesses, Camile le cerveau. Ce sont eux, les narrateurs, eux qui comptent le rythme fou de la mère, épouse et cadre modèle ; les pressions, le timing à tenir, et toujours l’exigence d’être parfaite, de tenir la corde, ne pas faillir, être la plus belle, la meilleure, la plus aimante, la plus discrète, la plus… jusqu’à l’étouffement, l’effondrement qui guette chaque superwoman, non chaque femme.
Le postulat est osé, le défi relevé. Jamais on ne se lasse de ces narrateurs, allant jusqu’à étudier notre propres jeux de jambes, s’amusant des mouvements des mains, mais surtout menant l’inquisition sur nos ressentis, et donnant au corps une once d’attentions.
Et au moment où l’angle choisi pourrait rendre le roman seulement loufoque, Julie Moulin surprend son lecteur en changeant de ton et de rythme, et en lui donnant une profondeur, en saisissant nos fragilités et en les secouant, pour finir par vous cueillir les larmes aux yeux. Julie Moulin parvient à saisir avec justesse et pudeur le moment de basculement, sans sombrer dans l’introspection, mais par le langage du corps, offrant à celui que l’on écoute si peu une si belle tribune.
Avec ce premier roman, Julie Moulin entre en littérature par la grande porte, parvenant à offrir une palette d’émotions à son lecteur , qui une fois le livre refermé se demande ce qu’il vient de vivre ; puis la seconde suivante, quand sort le prochain ?
Indéniablement l’un de mes coups de cœur en cette rentrée, et un titre qui fera bientôt parti de la nouvelle aventure des 68 premiers romans, tant il mérite d’être lu et défendu.
Extrait:
« J’ai tellement compté sur le regard des autres, j’ai cru que ma valeur se mesurait à la hauteur de leur reconnaissance. Toi, tu ne me voyais pas même plus. Les miroirs sont déformants. Tu as la chance de pouvoir t’exprimer dans ce que tu fais, Paul. Tu vis quand tu dessines. Moi, je ne suis qu’un matériau remplaçable et qui s’use vite ; je lutte pour convaincre le monde de mon utilité. Tu puises du sens dans ton travail, je m’épuise dans le mien. »
Un premier roman très réussi, en effet !
Moins apprécié que toi, mais assez ébahie face à un tel procédé narratif : osé pour un premier roman ! 🙂 (le thème en revanche ne m’a que trop parlé …)