Si on parlait écriture avec Martin Page?

16 Avr

Dès que vous ouvrez un livre de Martin Page, vous plongez dans son univers, loufoque et singulier. De la disparition de Paris et sa renaissance en Afrique à L’apiculture selon Samuel Beckett en passant par l’inimitable Comment je suis devenu stupide, Martin Page nous offre des romans originaux et incomparables. Il a accepté de vous parler écriture aujourd’hui. Merci Martin!

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1. L’écriture : c’est inné ou acquis ? C’est 90% sueur et 10% de talent ou l’inverse ?

L’inné c’est notre histoire familiale et la place que l’on occupe dans le monde à la naissance.

Mais ça ne donne pas de talent. Ça donne une ouverture.

Ensuite il faut dévorer le monde.

Et faire quelque chose de notre histoire, la considérer comme matière.

L’acquis c’est le travail d’une vie. L’écriture se nourrie de nos pensées, de nos observations, des directions vers lesquelles nous lançons notre désir.

Créer c’est une manière de se créer soi-même.

Nous écrivons grâce à nos intuitions et à notre inspiration, qui sont nées d’un intense travail d’observation et de pensée.

Et oui, il faut beaucoup travailler. C’est un effort physique, douloureux car arrachement au monde, mais qui est source de grands plaisirs.

2. Combien d’heures par jour pour l’écriture ? (avant votre premier roman et maintenant ?)

Avant mon premier roman :

J’ai mis des années à être édité. Avant d’être publié, j’étais étudiant et j’avais un petit boulot, donc les heures étaient limitées. Je dirai que j’écrivais cinq heures par jour. J’écrivais pendant les cours aussi, dans le train, le métro, au travail, le soir et la nuit.

Après :

J’ai pu lâcher mon job, et écrire dans un contexte plus
favorable.

L’art demande du temps. L’écriture n’est pas un hobby. Si on prend la choses sérieusement il faut avoir pour ambition que ça n’occupe pas une place périphérique dans notre vie.

J’écris quatre heures par jour je pense. Mais écrire c’est aussi ne pas écrire : penser, lire, observer. Donc c’est difficilement quantifiable. Je passe mes journées à penser à mes histoires et à mes livres.

3. Votre premier roman, c’était quand, quoi, où, comment ?

Comment je suis devenu stupide, en 2001, aux éditions Le Dilettante. Manuscrit envoyé par la poste.

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4. Quand peut-on être satisfait de son manuscrit ? Peut-on l’être vraiment ?

On peut l’être, ça aide à avancer. Mais ça ne doit pas durer. Il faut ne pas être satisfait, ça aide à l’améliorer. L’écriture est un va-et-vient constant entre arrogance et sévère critique envers soi-même.

5. Combien de refus pour arriver au St Graal ? Combien de textes proposés avant ce premier roman enfin publié ?

Je ne sais plus exactement. Je dirai cinq romans écrits et refusés. Puis, un roman est enfin accepté. J’ai une belle collection de lettres de refus. Ce qui est drôle c’est que des éditeurs qui avaient refusé mon premier roman l’ont trouvé formidable une fois qu’il est sorti. Quand on envisage de devenir artiste, il est conseillé de savoir apprécier l’ironie. Et surtout : se battre contre tout sentiment d’amertume.

6. Comment se déroule votre travail d’écriture ? Un premier jet en combien de temps ? Une lecture acharnée ? Des lecteurs ? Un projet que vous laissez grandir en vous avant de le coucher sur le papier ?

Mon réveil sonne, douche, petit déjeuner. Puis je pars à mon atelier. Je travaille au sein d’un atelier, créé avec ma copine et des copains dessinateurs. Nous avons chacun notre bureau, nous sommes huit sur deux étages, il y a une cuisine et une grande table pour manger. Nous prenons le café ensemble, nous déjeunons ensemble (pas tous exactement au même moment). Il y a une ambiance très studieuse, et en même temps nous n’hésitons pas à parler entre nous. C’est calme et de temps en temps des conversations naissent, sur notre pratique artistique, nos projets en cours, la vie.

De façon plus précise mon travail d’écriture commence par le désir. Je tombe amoureux d’une idée, d’un personnage, d’une situation, et je commence à prendre des notes, le coeur battant, excité. Puis je commence la rédaction du premier chapitre, du deuxième etc. Je relis et corrige sans cesse, j’imprime, je réécris dans les marges, j’intègre les changements. Et je continue à avancer. Je lis et corrige mes manuscrits de très nombreuses fois. Ma copine est ma première lectrice. Ma meilleure amie est ma deuxième lectrice. Enfin, je donne le manuscrit à mon éditrice, Laurence Renouf.

En effet, il y a des projets qui grandissent en moi. J’ai l’impression d’être une serre, il y a plein de jeunes pousses qui attendent que je m’en occupe.

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7. Quel est le plus difficile dans l’écriture d’un premier roman ? Comment surmonter les doutes et les angoisses sans tout arrêter et sans se demander à quoi finalement tout cela sert-il ? 

Tout est difficile si on veut que ce soit du bon travail. Mais c’est une bonne nouvelle, car c’est une difficulté fertile, des idées naissent.

Spécifiquement pour un premier roman, ce qui est difficile, c’est la situation d’écrire sans savoir si le livre sera publié. Ça sera peut-être pour “rien”. Mais en fait même en cas de refus de la part des éditeurs, ce n’est pas stérile. Car écrire un roman nous apprend à mieux écrire le suivant. On devient meilleur. L’échec peut être une université. En tout cas ça a été mon cas.

Surmonter les doutes et les angoisses ? Ce qui aide, c’est qu’on n’a pas le choix. Si on estime qu’on a le choix et qu’on préfère aller jouer au badminton parce qu’on ne supporte pas la difficulté, alors peut-être vaut-il mieux laisser tomber l’ambition de publier des livres.

Il reste qu’il y a des moments (et parfois qui durent longtemps) de découragement, de désespoir et de dépression, tant qu’on n’est pas publié.

Il faut passer ces étapes, et faire quelque chose de la douleur. Ne pas s’enfermer dans une posture d’artiste incompris. Même si c’est vrai, même si les éditeurs refusent un bon manuscrit, il faut continuer à écrire. Ce n’est pas un monde de justice.

Mais souvent l’acharnement permet de triompher.

8. Faites nous rêver… Quelle sensation éprouve t on lorsqu’on a son premier roman, publié entre les mains ?

J’étais tranquillement heureux. Apaisé. Plein d’énergie pour la suite.

9. Si vous deviez juger votre premier roman aujourd’hui, vous en diriez quoi ?

Je dirai que j’ai fait aussi bien que j’ai pu à cette époque et qu’il serait injuste de juger celui que j’étais avec les yeux de celui que je suis maintenant.

Par ailleurs, un premier roman contient des thèmes qui se retrouveront plus tard.

10. Etre écrivain, c’est…

Du travail, du désir, de l’enthousiasme, une capacité à transformer les traumatismes et le désespoir en énergie et en beauté.

C’est un moyen de s’en sortir.

11. Si vous aviez un conseil à donner à ces petits auteurs en herbe qui rêvent un jour d’être à votre place, ce serait…

D’écrire tous les jours. De lire de tout. De traverser les frontières. De ne pas se laisser impressionner par l’histoire littéraire et le goût respectable de l’époque. D’être fidèle à soi-même et sincère. D’avoir de l’ambition dans ce que vous écrivez (mais de ne pas être ambitieux). De pratiquer d’autres arts (musique, dessin …).

disparition

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7 Réponses vers “Si on parlait écriture avec Martin Page?”

  1. Submarine 16 avril 2013 à 10:10 #

    Une interview extrêmement intéressante… Merci !!

  2. lucie 16 avril 2013 à 13:30 #

    J’ai découvert tout récemment les mots de Martin Page dans « peut être une histoire d’amour » . Ce roman a fait battre mon coeur. L’interview que vous nous donnez à lire Martin et toi, Charlotte, donne juste envie d’appeler le boulot pour dire « je ne viens pas cet aprèm, j’écris ! »

  3. Jean-Basile Boutak 16 avril 2013 à 14:54 #

    Très belle interview de Martin Page. Bravo. Il y aurait tellement à dire sur ces mots pleins de justesse, de sagesse, d’espoir, d’encouragements.

    J’avais publié sur mon blog il y a quelques mois une interview de Martin : http://e-jbb.net/2012/11/08/dans-quelle-etagere-pit-agarmen/. Celle de Charlotte est néanmoins plus « complète » ; enfin, disons qu’elles sont différentes, complémentaires.

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    […] Tous ces romans valent le détour: La mauvaise habitude d’être soi ou encore l’apiculture selon Samuel Beckett… et évidemment son manuel d’écriture et de survie! Je reviens vous parler de lui prochainement et si vous voulez le découvrir davantage, il avait répondu à mes petites questions, ici! […]

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