Claire Debru a une multitude de cordes à son arc: traductrice, critique littéraire, auteur d’un blog, elle est aussi éditrice et a eu l’excellente idée de créer la collection Les affranchis chez NIL!
Elle revient aujourd’hui sur le métier d’éditeur!
1. Qu’est ce qu’être éditeur ?
Savoir regarder en arrière, lever le nez vers les cimes sans se laisser troubler par ce qui traîne sur l’asphalte, comme Guillaume Zorgbibe (Editions du Sandre). Promener dans chaque atome de sa chair l’amour des recherches enfiévrées, comme Gérard Berréby (Allia). Associer les fondements de la philosophie, les pépites secrètes de la littérature, l’art de voyager et l’élégance de l’imagination, comme Lidia Breda (Payot/Rivages). Choyer passionnément le papier, la reliure, la typographie, comme Dominique Bordes (Monsieur Toussaint Louverture). Oser la poésie, les œuvres des névropathes, les engagements fantaisistes, les querelles germanopratines, comme Jean-Jacques Pauvert, Gérard Lebovici, Eric Losfeld, Jean-Paul Bertrand…
2. Pourquoi vouloir devenir éditeur ?
Pour la plupart d’entre nous, c’est le moyen le plus simple de passer sa vie à lire. Mais de toute façon, quand on aime les livres, quel que soit son métier, on est forcément à la fois lecteur, libraire, critique et éditeur, à sa façon.
3. Comme définir votre ligne éditoriale ?
Dans la collection « Les Affranchis », elle a le mérite et la faiblesse d’être très définie, justement. Un auteur doit écrire une lettre unique dont la parution lui semble fondamentale, qu’il choisisse de l’inscrire en territoire autobiographique ou fictionnel.
4. Quelle est la place de l’éditeur dans le monde du livre ?
Déterminante et cependant menacée. Vu de l’extérieur, l’éditeur est perçu comme un grand manitou capricieux qui ne songerait qu’à cirer les Berluti des « écrivains parisiens » et publierait sans lire. Soyons clairs, ce personnage a existé. Les seuls spécimens de cette race qui subsistent aujourd’hui appartiennent à la génération des sexagénaires. Ils sont riches, puissants, déterminés à rester en place jusqu’à la mort comme à tuer tout talent qui se présentera devant eux. Pour l’éditeur qui a entre vingt-cinq et quarante-cinq ans, la chanson n’est pas la même. A l’intérieur d’une maison, il livre une bataille permanente pour imposer un manuscrit, obtenir une couverture et un lancement de communication cohérents, esquiver le sabotage induit par des principes de marketing aberrants et une économie suicidaire. Bien sûr, le métier d’éditeur est de plus en plus « externalisé » : pas de statut de salarié, des contrats au lance-pierre, une rémunération à l’avenant, mise à distance et absence de reconnaissance du travail accompli. Enfin, il y a les éditeurs lassés de ces deux situations, qui créent leur propre structure et risquent de se voir rachetés par un groupe au premier grand succès. Aujourd’hui, comme dans tant d’autres domaines professionnels où règne cette « logique de groupe », un éditeur est un résistant actif sur tous les fronts. Mais à ceux qui pensent qu’il se contente de déceler la perle rare dans une pile de manuscrits, ce qui est d’ailleurs moins simple qu’il n’y paraît, rappelons que souvent, à l’origine d’une œuvre se trouve un éditeur.
5. Le livre que vous auriez rêvé d’éditer :
Salammbô, pour lui créer un accent circonflexe sur mesure et être toujours au service des exigences de Flaubert !
6. Trois mots pour définir la relation auteur- éditeur :
Confiance, exigence, constance.
7. Trois qualités essentielles pour qu’un premier roman soit publiable :
Une seule : le style.
8. L’auteur que vous éditeriez les yeux fermés :
Aucun. Le moins que puisse faire un éditeur, c’est de garder les yeux ouverts !
9. L’avenir du livre, vous l’imaginez comment ?
En France, nous faisons pour le moment un usage rationnel du numérique, qui ne met pas immédiatement en péril l’édition imprimée des œuvres contemporaines. En revanche, notre patrimoine littéraire va souffrir d’une mise à disposition massive sous forme électronique. Mais l’avenir du livre reste assuré : d’abord, on ne tue pas une technologie parfaite, et puis les bibliophiles, qui sont de plus en plus nombreux, ainsi que les lecteurs amoureux d’éditions bien faites, n’ont que faire d’objets immatériels. Or, qui achète, et à quel prix ?
10. La question que vous aimeriez que l’on vous pose :
« Si vous aviez une baguette magique pour changer le destin d’écrivains que vous avez aimés, que feriez-vous ? »
11. Et la réponse ?
Je ferais accepter La Conjuration des imbéciles par un éditeur américain avant que John Kennedy Toole ne mette fin à ses jours, je ferais poser un pacemaker à Balzac pour qu’il vive et écrive plus longtemps, j’obligerais Napoléon à vendre la Louisiane vingt fois le prix payé pour que cet argent serve à financer la publication de poésie française tout au long des XIXe et XXe siècles.
Un interview passionnant !!
Merci beaucoup Corinne!
Une interview qui dépoussière l’image de l’éditeur et donne le sourire!
Ravie de voir que l’énergie de Claire transparaît dans son interview!
Excellent… Y’a pas à dire, ça fait envie.
Tout à fait d’accord Laurent, ça fait enviiiiiiiieeeee!!!
Encore un bel interview. Merci pour ce partage et bonne journée ! 🙂
Merci beaucoup Laure, un plaisir!
Quelle incroyable collection. « Un homme ordinaire » d’Yves Simon a été un vrai&beau coup de coeur.
Merci pour cette interview !
Chaque livre de cette collection est incroyable!
une collection formidable, bravo Claire Debru et merci Charlotte pour cet entretien éclairant
Ravie de vous voir ici, Valérie! Merci beaucoup!(tout à fait d’accord sur le caractère formidable de cette collection!)
Une pensée qui est mienne. Merci pour ces moments d’interviews croisés que je partage…