Deux romans savoureux, éditiés par l’Olivier, qui nous interroge sur la fabrication des légendes et sur la posture de l’artiste!
L’apiculture selon Samuel Beckett de Martin Page
Je suis fan de l’univers de Martin Page, voilà c’est dit ! « Comment je suis devenu stupide », « La disparition de Paris et sa renaissance en Afrique » (dont je parlais chez Kesketalu) sont des romans inattendus, originaux et passionnants ! Son écriture, son détachement, ses facéties et cette capacité à dire des choses profondes sans rien laisser paraitre sont autant de facettes de son talent.
Son nouvel opus ne déroge pas à la règle ! Une gourmandise délicieuse !
Une digression drôle et intelligente sur la vie de Samuel Beckett. Un jeune doctorant en anthropologie se trouve, par hasard, au bon moment et au bon endroit pour devenir l’assistant de Samuel Beckett, un assistant pas comme les autres.
S’en suit le récit de cette aventure (rocambolesque?) relaté à la façon d’un journal intime. Une réflexion profonde et percutante sur la stature de l’écrivain, son rôle dans la société et ce que l’artiste laisse au monde.
Un roman court (trop court !) où tout est à garder, chaque réflexion est intéressante et riche.
Une fable percutante!
Extrait: « Je crois que certains êtres humains ont des vertus pharmacologiques. »
Une faiblesse de Carlotta Belmont de Fanny Chiarello
Fanny Chiarello est diaboliquement maligne ! Plutôt que nous proposer un seul style et une facette unique de son talent, elle nous offre un florilège de son pouvoir d’écriture dans son nouveau roman : une faiblesse de Carlotta Delmont.
Pour nous faire découvrir la cantatrice Carlotta Delmont et son rapport au monde, elle nous délecte d’un roman à la construction intelligente et s’amuse à bousculer les codes du genre. Dans son roman, on y rencontre des correspondances, des télégrammes, une pièce de théâtre, des articles de journaux et un journal intime. Nombreux sont ceux qui se seraient emmêlés les crayons et auraient offert quelque chose de fade ou sans fluidité. Là réside tout le talent de Fanny Chiarello, elle nous tient en haleine, apporte à chaque page, une nouvelle information. Aucune redondance, aucun moment où l’on se demande à quoi sert cette nouvelle transgression. Le tout est tenu par un béton solide.
La construction ne fait pas tout, elle vient en soutien d’une histoire intemporelle et touchante, où l’on reconstitue le puzzle de la construction d’une vie, de la propension du monde à créer ses propres légendes, à l’insu du protagoniste principal. Le récit se place dans les années 30, l’écriture flirte d’ailleurs brillamment avec les récits de cette époque (suivez mon regard vers Gatsby) , et pourtant c’est bien le portrait de notre époque qui est dressé, comme un pied de nez à la célébrité construite sur le fait divers et la vie privée.
Un roman à suspens qu’il est difficile de refermer avant la fin, avec des passages fulgurants et de phrases à relire!
Extrait: » J’aimerais croire que je la console d’avoir souffert de rêves trop beaux pour ce monde, mais c’est plutôt moi que je console, moi qui devenue adulte n’ai plus le refuge de ces rêves pour m’abriter de la tyrannie de la réalité. »
Je plussoie, pour les deux ! Beckett, une gourmandise avec pépins et pépites. Et je suis en plein dans le suspense, sur le bateau avec Carlotta Delmont.
Elle est belle, la saison des Oliviers.
Et alors, bien arrivé à quai?