Je tente de démysthifier l’écriture et les écrivains, mais il y a encore du chemin et quand je me retrouve face à Laurence Tardieu, je me sens minuscule (il en serait de même avec Alice Ferney ou Blandine Le Callet par exemple) tant j’ai aimé chacun de ses livres. Sans rien regarder hormis le nom de l’auteur, je cours acheter le dernier sorti. En préparant cette interview, je me suis rendue compte qu’il y a peu de traces de Laurence Tardieur sur ce blog (juste un petit mot sur La confusion des peines, un mot trop court d’ailleurs!) alors que tous ses livres ont été lus et relus.
Alors vite Laurence, un nouveau texte!
Quand elle m’a dit ok pour mon interview, je n’en revenais pas. Laurence Tardieu sur mon blog… Là voila donc, entière et sensible, comme dans ses livres. Merci infiniment Laurence.
1. L’écriture : c’est inné ou acquis ? C’est 90% sueur et 10% de talent ou l’inverse ?
Ce qui est in-né, c’est-à-dire : in, dans, dans la chair, c’est la nécessité. Je ne peux pas vivre sans l’écriture. Je n’ai jamais pu vivre sans l’écriture. Depuis l’enfance. A partir de ce sentiment de nécessité, s’élabore l’œuvre, de livre en livre. L’élaboration, c’est le travail : c’est, depuis mon premier livre, le travail de la langue, c’est-à-dire du son, du rythme, le travail de composition, comme un plasticien travaille sa matière. Car je crois profondément que le sens, en littérature, n’est rendu visible que par la forme. De livre en livre, le travail de la langue me permet, chaque fois, d’explorer davantage ce que je cherche et, ce faisant, de me sentir plus libre.
2. Combien d’heures par jour pour l’écriture ? (avant votre premier roman et maintenant ?)
Lorsque je suis en écriture, je me cale sur le rythme scolaire de mes filles, et essaie de travailler au moins quatre matinées par semaine, dès 8h30, heure de retour de l’école après avoir déposé ma deuxième fille (je travaille très bien le matin : le cerveau est clair, je suis très concentrée, obstinée, je me fraie un chemin dans les ténèbres). Lorsque je peux, je retravaille un peu l’après-midi, souvent je reprends des choses, je corrige, je coupe, je retravaille le rythme. Parfois, selon les phases d’écriture, je travaille le soir, lorsque mes filles sont couchées et que tout est calme dans la maison : c’est un moment où mon cerveau est très libre, certaines choses me viennent dans l’écriture, qui ne seraient pas venues à un autre moment de ma journée, je travaille de manière plus intuitive, je m’abandonne davantage.
3. Votre premier roman, c’était quand, quoi, où, comment ?
Mon vrai premier roman, c’était en 1997, après avoir obtenu mon diplôme… d’école de commerce. Comme quoi, aucune ligne droite ne mène à l’écriture ! J’avais osé avouer pour la première fois à mes parents mon désir d’écrire. Mon père m’avait répondu : « Prends-toi six mois pour écrire, après, tu gagnes ta vie. ». J’ai respecté la consigne, j’ai écrit un premier livre, dans un bonheur total : pour la première fois de ma vie, je confrontais mon désir d’écriture à la réalité. La joie que j’en ai éprouvée a été bien au-delà de ce que je pouvais imaginer. Ce texte était une sorte de quête initiatique.
Mon premier roman « officiel », c’est Comme un père, écrit en 2000 en six petits mois (je n’écrirai plus jamais, par la suite, de roman en un temps aussi bref), publié en 2002 chez Arléa. C’est un roman écrit avec un sentiment d’évidence et aussi de douloureuse nécessité, l’année où mon père est incarcéré et où ma mère se meurt d’un cancer. Ce livre raconte la tentative de rencontre entre un père et sa fille, deux étrangers l’un pour l’autre, le père sort de vingt ans de prison et demande à sa fille de l’héberger quelques jours. C’est mon troisième roman, puisque depuis mon « vrai premier roman » j’ai écrit un deuxième roman, non publié lui aussi. Lorsque j’écris Comme un père, j’écris en sachant que mes deux premiers livres ont été refusés par tous les éditeurs… Heureusement, heureusement, il y a ces deux lettres d’encouragement : une de Maurice Nadeau, l’autre de POL. Je ne suis pas seule à y croire. Je ne dois pas être complètement folle…
4. Quand peut-on être satisfait de son manuscrit ? Peut-on l’être vraiment ?
Je ne crois pas qu’il s’agisse d’un sentiment de satisfaction. Mais, davantage, du sentiment d’être parvenue au bout du désir d’un livre. Puisque écrire c’est, d’une certaine manière, chercher, explorer. Pour ma part, heureusement que j’éprouve, à un moment donné, le sentiment d’être parvenue « au bout du désir » : autrement, je crois qu’on pourrait ne jamais en avoir fini avec un livre.
5. Combien de refus pour arriver au St Graal ? Combien de textes proposés avant ce premier roman enfin publié ?
Comme je l’explique un peu plus haut : deux.
Deux c’est à la fois très peu, et immense. Très long. Un désert. Il faut tenir. C’est le désir et le sentiment de nécessité, chevillé au corps, au ventre, qui font tenir.
6. Comment se déroule votre travail d’écriture ? Un premier jet en combien de temps ? Une lecture acharnée ? Des lecteurs ? Un projet que vous laissez grandir en vous avant de le coucher sur le papier ?
Je crois beaucoup au travail, à l’obstination, à la discipline, pour l’écriture d’un roman : si on n’écrivait que durant les moments de grâce, il serait difficile de passer les cinquante premières pages. Il faut chercher, chercher, chercher. Et c’est l’écriture, et seulement l’écriture, qui me permet de chercher, d’explorer : ce que j’écris n’est rendu possible que par l’écriture. Pas par la pensée, ni l’imagination, ni la volonté. L’écriture.
Bref, ceci étant posé, je me cale, comme je l’ai expliqué, sur le rythme scolaire de mes enfants. Et, en général, il me faut une année au moins pour un premier jet. Cette lenteur relative s’explique par le fait que je ne sais jamais, lorsque je commence un livre, ce que je vais écrire. Je n’ai rien : ni le sujet, ni les personnages, encore moins la construction, la composition du livre. J’avance, phrase par phrase, et c’est l’écriture, son mouvement, qui permet l’écriture. C’est bien là la force et le mystère de l’écriture, de la création : l’écriture nous emporte là où on n’avait jamais imaginé aller.
Je lis beaucoup, et les livres que j’aime me nourrissent, me donnant encore plus envie d’écrire. Je crois que les écrivains s’inscrivent dans une histoire, une histoire de la littérature, de l’évolution de la littérature par rapport au réel, et nous ne pouvons pas écrire sans lire. Il me semble indispensable de lire les autres auteurs.
En revanche, je ne cherche pas à lire des textes qui recoupent mon sujet, j’évite, plutôt.
Mon premier lecteur est mon éditeur Jean-Marc Roberts, depuis 2006 : il lit toujours les trente premières pages. C’est très important pour moi : savoir qu’un autre que moi, en qui j’ai une totale confiance, sait de quel monstre je suis en train d’accoucher… Ensuite, je ne lui parle plus, en général, du texte, avant de le lui remettre, lorsque je l’ai fini.
7. Quel est le plus difficile dans l’écriture d’un premier roman ? Comment surmonter les doutes et les angoisses sans tout arrêter et sans se demander à quoi finalement tout cela sert-il ?
L’écriture de mon premier roman a été une joie de bout en bout : j’ai eu l’impression de débarquer sur une nouvelle planète dont je ne connaissais rien, et dont je découvrais chaque jour un peu plus, ou un peu mieux, le fonctionnement : comment aller chercher sa propre voix, comment ne pas fabriquer, comment faire en sorte que les personnages soient de chair et de sang et non des clichés, comment parvenir à une unité de ton, quelle structure adopter… C’était sans doute difficile, mais j’ai éprouvé un tel sentiment de bonheur, que le plaisir, le désir, ont été plus forts que la peur, les doutes. Quinze ans après, aujourd’hui, je peux dire que, pour moi en tous les cas, ce n’est pas au début que cela a été le plus difficile : mais au fur et à mesure des livres, lorsque la peur a grandi, les doutes aussi, car l’exigence est devenue plus grande, la soif aussi. Au début, on est dans ma découverte, et dans l’émerveillement de cette découverte. On ne sait rien, on apprend, on trace un chemin dans une neige qui nous paraît vierge.
8. Faites nous rêver… Quelle sensation éprouve t on lorsqu’on a son premier roman, publié entre les mains ?
Je me souviendrai toute ma vie, évidemment, de ce coup de fil, en 2001, lorsque Anne Bourguignon, éditrice chez Arléa, m’a appelée pour me dire qu’elle aimait mon texte. Il m’a semblé avoir enfin franchi un mur qui, durant plus de cinq ans, m’avait paru infranchissable. Cela a été une des plus fortes émotions de ma vie. Ma fille aînée avait trois mois, elle était assise sur mon lit et jouait tranquillement, et lorsque j’ai raccroché j’ai entrepris autour d’elle une sorte de danse effrénée.
9. Si vous deviez juger votre premier roman aujourd’hui, vous en diriez quoi ?
Je vais me référer à mon premier roman publié pour répondre à votre question, soit Comme un père : je crois que ce texte contient déjà plusieurs des thèmes autour desquels je n’ai cessé de tourner ensuite de livre en livre (relation père-fille, qu’est-ce qu’aimer, qu’est-ce que l’amour, difficulté à communiquer, à atteindre l’autre, solitude, poids des non-dits), mais je n’avais, à l’époque, pas la liberté que j’ai ensuite acquise, de livre en livre, et que je m’efforce de continuer à trouver un peu mieux à chaque nouveau texte. Aussi, ce livre est-il, à mes yeux, fort, violent, mais il manque un peu de désordre… Je dirais qu’il est presque trop propre. C’est une première pierre.
10. Etre écrivain, c’est…
… se donner à l’écriture.
11. Si vous aviez un conseil à donner à ces petits auteurs en herbe qui rêvent un jour d’être à votre place, ce serait…
Ecrire, écrire, écrire. Ne pas céder au découragement, quand bien même le chemin qui mène à la publication est long. Cette lenteur est normale. On ne peut pas savoir écrire tout de suite. Il faut du temps. Si le désir, le sentiment de nécessité demeurent, alors, un jour le mur, l’immense mur, sera franchi.
Je sais quel livre prendre la prochaine fois a la bibli 🙂 merci Charlotte
Et merci Laurence pour ce bon moment 🙂
Merci pour cet interview. J’aime énormément l’écriture de cette auteure. J’ai lu Puisque rien ne dure (mon préféré), Un temps fou et La confusion des peines. Moi aussi, j’achèterai les yeux fermés son prochain livre. T’a-t-elle dit si un roman est en cours d’écriture ?
Un très bel interview, une réflexion sur l’écriture passionnante et sur ce rapport à la lecture essentielle. Merci à vous deux.
Rien de tel que ce genre de « rencontre » pour donner envie de découvrir un nouvel auteur. Eh oui, l’écriture, c’est du travail, de la patience, du silence, à la puissance 10!
Magnifique échange ! Merci Charlotte.
C’est un auteur que j’affectionne tout particulièrement…
Tiens, cela ne m’étonne guère!
C’est encourageant pour ceux qui hésitent à se lancer, et empreint d’humilité. Je trouve cela magnifique de la part d’écrivains confirmés de se mettre à notre portée.
Tout à fait d’accord. J’étais toute petite face à Laurence Tardieu, absolument fan de son écriture et elle a été très accessible, très très gentille!
Coucou Charlotte,
Très intéressant…
J’ai découvert il y a peu Laurence Tardieu.
C’est en faisant des recherches sur elle, que je suis tombée chez vous.
« Rêve d’amour » fut un véritable coup de coeur
http://kimcat1b58.over-blog.com/article-reve-d-amour-livre-119210585.html
Et à la suite j’ai lu « Puisque rien ne dure »
http://kimcat1b58.over-blog.com/article-puisque-rien-ne-dure-livre-119363897.html
Puis « Le jugement de Léa »
http://kimcat1b58.over-blog.com/article-le-jugement-de-lea-livre-119482954.html
Je viens de terminer « La confusion des peines » (pas encore préparé l’article sur mon blog)
Je suis plus qu’enthousiasmée par la plume de Laurence Tardieu.
Bien cordialement.
Ravie de lire cela… La plume de Laurence Tardieu est rare et parvient à m’émouvoir à chaque nouveau roman!
Merci pour votre réponse Charlotte
Bonne soirée
Béa kimcat