Texte publié pour la première fois sur le site de la Main enchantée le 5 mai.
Il est intéressant de voir comme l’écriture modifie notre regard sur la lecture.
J’ai toujours beaucoup lu (la moyenne nationale est de 12 livres par an, je suis très largement au-dessus), des romans surtout, français essentiellement… Par facilité sans doute, il est plus facile d’entrer dans un univers que l’on connaît, où la toile de fond est déjà tendue. S’attaquer à une littérature étrangère demande davantage de facultés d’adaptation, il faut s’adapter à un ton différent, être prêt à ce que le décor change un peu, que le costume ne soit pas exactement taillé sur mesure.
Longtemps, il a fallu que le livre me touche pour que je le considère intéressant et surtout que je puisse me projeter dans l’histoire donc quand il s’agissait d’un héros tout à fait ordinaire qui se demande si le plus important est de se marier avec la femme qu’il aime ou de rester libre, alors l’identification est aisée, trop parfois.
Depuis peu, mon œil a envie d’autre chose et je pense que cela est lié à l’écriture.
Ecrire vous pousse à vous interroger. Au début, vous faites cela pour vous, vous commencez par griffonner vos états d’âmes et puis vous vous mettez à imaginer des histoires, courtes, qui ressemblent étrangement à votre vie. Et puis, plus vous écrivez, plus vous devenez exigeants, cherchant toujours davantage à vous surpasser, à sortir de cette posture dans laquelle il est rapide de s’enfermer : parler de soi.
Et pour écrire différemment, vous lisez différemment.
J’ai alors croisé le chemin d’auteurs japonais qui par leurs lenteurs, leurs regards différents sur les relations humaines, ont apporté quelque chose de nouveau dans mes lectures.
Mais surtout, j’ai rencontré Russell Banks (une critique ) et là, ma transformation a été complète ou comment un seul livre peut vous ouvrir les yeux sur tant de choses et notamment sur le rôle et la place de l’écrivain.
Le stéréotype de l’écrivain français est un peu romantique, un peu torturé et qui n’a trouvé pour seul échappatoire que l’écriture, quelqu’un qui sonde sa vie, ses ressentis pour tenter de les généraliser et d’attirer le lecteur dans son univers, proposer au lecteur de s’imaginer dans la peau du personnage. (Ce n’est pas une critique, un simple constat!)
Cela fonctionne parfois très bien et certains livres vous transportent et vous bouleversent profondément et intimement (une pensée pour Nos vies désaccordées de Gaelle Josse qui me poursuit encore).
Mais parfois, on a envie d’autre chose ou en tout cas, on se dit qu’il serait bien de ne pas rester dans cette auto contemplation mais qu’il faut s’élever, prendre de la hauteur. Ne pas se contenter de raconter des histoires, mais raconter l’Histoire. Prendre le théâtre de la vie moderne, source inépuisable d’inspiration, pour le tordre dans tous les sens pour en faire sortir la substance.
Un écrivain n’est pas un journaliste et il a cette chance ! Il peut aller très loin dans la critique, analysée la société sous l’angle qu’il souhaite, on ne l’attaquera jamais pour son manque d’objectivité. Avec un roman, on peut tout dire.
La littérature a cela de fantastique, n’est on finalement pas là dans le dernier véritable terrain de liberté ?
L’adage dit bien que les paroles s’envolent et les écrits restent, mais ceux qui demeurent réellement ne sont-ils pas ceux qui reflètent pleinement une société à un moment donné, qui transcendent le personnage pour aboutir à quelque chose de plus loin, plus haut ?
Intéressant. 🙂 Pour moi, ces sortes de débuts sont difficiles à démêler, car il me semble que j’écris depuis que je lis, depuis je sais lire ; je considère l’écriture comme une faculté humaine quotidienne, au même titre que manger, boire, dormir et parler… Et quand j’ai voulu écrire dans le sens d’être publiée, j’étais encore très jeune et totalement dans l’imitation : je voulais écrire pareil que ceux qui m’en avaient donné le goût, c’est-à-dire ceux que je lisais.
Cependant, en lisant ton anecdote au sujet des auteurs japonais, j’ai réfléchi et… Je n’y pense plus guère, mais j’ai effectivement donné un tour imprévu à mes lectures à cause de l’écriture. Si je n’avais pas été portée par ce désir de voir ce que les autres écrivaient, et comment ils l’écrivaient, je ne me serais pas intéressée à la romance… Et je crois que ce que j’aime, dans la littérature populaire (ou paralittérature), c’est justement que sous couvert de raconter simplement des histoires, elle ne peut s’empêcher de nous plonger le nez en plein dans la société telle qu’elle est. Autant de reflets captés au long du chemin.
Merci Jeanne pour cette jolie réponse et pour ton article à ce propos sur ton blog! A chacun sa façon de lire, mais depuis que j’écris, mon regard a vraiment changé! Quant à être publiée, c’est une autre histoire!
je partage ce que tu dis sur le côté moins accessible à priori de la littérature étrangère et je pense en effet que l’écriture influe sur nos lectures et inversement.
J’aime beaucoup le titre de ton article et ce que tu y écris ne me surpend pas.
Je ne m’y reconnais pas personnellement car je n’ai pas suffisamment lu et que je n’écris pas (encore?) mais j’écoute et je lis souvent les écrivains parler de leur écriture et de la littérature en général et à chaque fois ils parlent des lectures qui les ont construits et fait évoluer.
J’ajouterai que plus tu lis, plus tes critiques sont intéressantes et pertinentes! Et ça je le sens bien quand j’essaye moi aussi de faire part de mes impressions sur un livre. Donc plus tu lis, plus tu régales tes lectrices!!
Merci beaucoup Petite Fleur, c’est trop gentil. Je ne sais pas si mes critiques s’améliorent. Tout ce que je sais, c’est que ce sont des ressentis. Je ne cherche pas à faire des critiques vraiment littéraires, comme on peut retrouver dans les magazines notamment. Sans doute parce que j’en suis incapable, mais surtout parce que pour moi, la lecture, c’est l’émotion, les sentiments qui émanent d’une lecture…