Dernière édition de la saison de la récolte d’Olivia. Je me devais de participer. Difficile mais j’y tenais.
La liste était: girouette – ennuyer – s’escamper – manoir – hiver – enluminure – canicule – pugilat – clochette – abeille – palmier – persévérant – zinc – champs – essoufflé – musicien – glace – grivoiserie – étang
« A trop vouloir suivre le vent, tu finiras comme une girouette. Instable. »
Voilà ce que me répétait toujours mon père. J’entendrais longtemps cette phrase dans ma tête, elle avait le don de m’exaspérer. Que pouvait-il comprendre à ce bouillonnement intérieur, à ce besoin de vivre, de tout tenter ? A chaque fois la discussion tournait au pugilat et je m’escampais. J’étais en permanence essoufflé par ce besoin viscéral d’exister, de ne pas me contenter de ma vie. J’avais tout et pourtant j’étais vide. Cette peur permanente de m’ennuyer me faisait aller toujours plus vite, sans jamais tenir la distance, sans prendre garde à cette boussole qui sans cesse changeait de cap, persévérant dans la fuite.
Mon père ne cessait de se désoler sur ce fils que j’étais devenu, sur cet être qu’il pensait aimer plus que tout et qui pourtant chaque jour le décevait.
Il me l’avait dit un jour, sans prévenir : tu me déçois, je n’ai jamais pu être fier de toi.
Ce jour-là, je n’avais rien dit. Le choc avait été trop violent. Contre les insultes, les grivoiseries ou les petits mots mesquins, je pouvais me battre. Contre cela, c’était impossible. Et ce jour-là, tous mes maux et mes angoisses s’accordèrent pour trouver leur source commune : mon père.
Comment peut-on être si peu aimé par son père ? J’étais à ses yeux, sans doute coupable de bien des maux, ne pouvait mener une existence stable, comme tout le monde. Je n’avais pas su tenir le rang de la famille, n’avait pas su combler les espoirs de mon père. Moi, le seul fils. J’avais au contraire voulu lui montrer que je n’étais pas comme lui, que je voulais vivre.
Aujourd’hui, dans ce manoir vide et traversé par des courants d’air porteurs du froid glacial de l’hiver, je repensais à ces mots échangés, à ce désamour et à ces rendez-vous manqués.
J’errais dans la bibliothèque de mon père, pièce interdite pourtant, essayant de sonder cet être que je connaissais finalement si mal.
La première chose que l’on voyait en entrant était une gigantesque glace encadrée d’un châssis en zinc, ornant la moitié du mur. Etrange objet dans ce genre d’endroit.
Les étagères étaient pleines à craquer, s’y côtoyaient des vieux ouvrages recelant des enluminures insoupçonnées, des romans plus modernes et ces fameux ouvrages de botanique par dizaines : abeilles et fleurs à clochette étaient ses domaines de prédilection. Ses vergers, ses champs et son étang étaient les seules sources de distraction que je lui connaissais, distraction qu’il menait cependant comme une entreprise, avec application et discipline.
J’eu la surprise de découvrir deux photos : une photo de mon père et d’un musicien célèbre sur une plage exotique, à l’ombre des palmiers, présents sans doute pour soulager les deux hommes de la canicule qui semblait frapper les organismes. Une photo à l’opposé de ce que mon père représentait à mes yeux. Lui, l’homme toujours sérieux avait eu une jeunesse, avait su s’amuser. Une révélation.
Mais la photo qui attira mon attention était posée sur une étagère très haute. C’était une photo que je ne connaissais pas et pourtant elle me représentait enfant, tenant la main de mon père qui me couvrait alors d’un regard bienveillant.
J’étais étonné de découvrir cette photo dans l’antre de mon père. Il m’avait donc aimé un jour.
Je m’assis à son bureau, las et fatigué par tant de tiraillements. Il était rangé au carré. J’aperçus tout de suite cette enveloppe posé sur le pied de la lampe sur laquelle il était noté : A mon fils.
Je la cherchais sans doute, inconsciemment. Je savais pourtant que la lecture allait être douloureuse et j’imaginais que des regrets allaient bercer le flot de mots déversé par mon père. Je savais que quel que soit la teneur de cette lettre, je ne pourrais jamais y répondre. C’était une lettre d’adieu, mais rien ne serait réparé.
C’est du vivant qu’il aurait fallu se dire tout cela.
Magnifique!
ça sonne tellement vrai!
Je pense que là est mon texte préféré de toi.
Belle histoire qui rappelle qu’il faut savoir se parler alors qu’il en est encore temps… On oublie l’exercice et les mots imposés !
Sincèrement c’est ma version préférée de tous ! bravo! 🙂
Je ne m’attendais pas du tout à la fin !
Pourquoi les enfants s’éloignent ils à un moment de leurs parents ? A moins que ce ne soit l’inverse …
Tout simplement parce qu’il existe des pères qui n’aiment pas leur enfants et inversement donc aucune chance !
@ tantôt
ton texte est très juste, très vrai… Des pères qui n’aiment pas j’en ai connu.. souvent ils n’aiment qu’eux-même donc n’accepte pas la comparaison.
Texte qui me touche…
@ tantôt
avec le sourire
Magnifique ! 😀 J’aime beaucoup ta manière de nous plonger dans la vie de tes personnages. 😀
Touchant… Les histoires de famille qui blessent. Je viens de finir « Faut-il croire les mimes sur parole? » et la dernière nouvelle est aussi percutante, une histoire de liens forts si forts qu’ils peuvent blesser, détruire. Je te le garde précieusement
Et bien, quel billet magnifique qui traite d’un sujet qui passe les générations…
Ca me fait beaucoup réfléchir sur les relations que j’ai avec ma mère…
Bon dimanche et bisous d’O. dans les orages
Merci beaucoup Soene.
Puissant passage … étouffant et étranglant d’émotions. Cette enveloppe…j’aurais aimé que mon père m’en laisse une.. Non pas pour réparer…mais pour partager ses sentiments à jamais tus… Magnifique ton texte !
Coincoins émus
Merci beaucoup pour ces compliments.