Au titre déjà, on a envie de s’arrêter. Lointain souvenir de la peau : un titre d’une rare poésie qui peut évoquer des sentiments contradictoires, nous aiguiller sur des fausses pistes, qui ne peut pas laisser insignifiant.
Ensuite, vient l’auteur : Russell Banks : gigantesque romancier contemporain américain.
Enfin, on ne s’arrête surtout pas sur la quatrième de couverture et on ouvre ce livre.
Alors, on ne peut qu’être déstabilisé par ce roman, si étrange, si particulier. Aucun rythme régulier : des phases d’une grande lenteur, qui parfois peuvent paraître ennuyeuses mais qui finalement sont une sorte de ponctuation, de suivi en temps réel de l’histoire, accolées à des moments d’une rare intensité. Déroutant évidemment. Au moment où l’ennui peut s’installer, on est retourné et embarqué ailleurs, on n’a peur de manquer un mot, peur de passer à côté de l’instant de basculement.
Russell Banks nous offre un roman comme seuls peuvent, je pense, nous offrir ce type d’auteur américain : une critique de la société et de ses déviances avec finesse mais sans fard, parfois crue, des personnages énigmatiques et pourtant tellement humains, dans tout ce que l’humanité peut avoir de dérangeant, d’abjecte parfois, mais surtout d’ambiguïté. Avec brio, l’auteur décortique le mythe du bien et du mal, tant chéri par les sociétés contemporaines qui veulent nécessairement mettre les gens dans des cases.
Un vrai questionnement sur la façon dont la société traite ses enfants, sur l’insouciance et l’innocence qui n’existent plus vraiment, sur la culpabilité, la honte, le pardon, la faculté d’oubli aussi, même si c’est plus insidieux.
Les addictions sont passées au crible : Internet, la pornographie, la nourriture.
Le portrait est sombre mais tellement vrai, la critique est juste sans excès.
Après Crépuscule de Cunningham qui avait su à merveille dépeindre New York et la lenteur du quotidien, même si on est dans un univers différent, on ressent cette même volonté de montrer la vie, d’utiliser la société comme décor et s’éloigner ainsi des flots de romans (et dans lesquels il y en a des très bons) où tout n’est centré que sur la petite vie du héros, sur ses doutes et ses hésitations amoureuses.
Ces deux romans m’ont ouvert les yeux sur ce que devait être un livre, sur le rôle de l’écrivain et sur tant d’autres choses liées au travail de l’écriture. Deux monstres sacrés du roman contemporain américain pour une démonstration de genre!
Je vais me lancer dans la lecture de Tout, tout de suite de Morgan Sportès ; peut-être vais-je alors me rendre compte qu’en France aussi il existe ce genre d’écrivains… Je l’espère !
NB: J’ai eu la chance d’assister à une conférence de Russell Banks au salon du livre, un homme très chaleureux et très ouvert, amusant aussi, qui a parlé très justement de l’évolution de la société, notamment au travers de l’usage de Facebook avec une comparaison d’une réalité rare entre l’usage professionnel qu’il en faisait, celui qu’en faisait sa fille et enfin la nécessité pour sa petite fille de se dévoiler complètement sur ce réseau social. Son analyse était juste, il se voulait critique d’une société tout en restant dans son rôle d’écrivain. Une belle leçon d’humilité et d’humanité!
A lire dans le magazine lire du mois dernier, une interview très intéressante de ce grand bonhomme!
Ils sont tous les deux dans ma PAL. J’espère les lire ce mois-ci
il me tentait déjà tu confortes mon envie !! merci pour ce joli billet où tu livres tes ressentis à la lecture et cette belle rencontre !
C’est le deuxième livre que je prends à la bibli suite à un de tes billets et je n’ai pas été déçue : cette descente aux enfers du Kid est très réaliste et émouvante. J’ai apprécié le personnage très ambigu du professeur : la fin est très ouverte et ne répond pas aux questions : au lecteur de se faire son avis sur le Professeur
Bonne journée